Rencontre du troisième type avec Pascal Mulot

Il est un OVNI dans le monde de la musique en France. La longévité de sa carrière solo en tant que bassiste peut en laisser rêveur plus d’un. Ses collaborations dans tous les styles musicaux ne se comptent plus. Il a une culture musicale d’extraterrestre et son style l’est tout autant. Pascal Mulot traverse tel un vaisseau spatial les années-lumière et fait escale en 2025 pour nous livrer un nouvel album « Compassion » qui vient de sortir.

 

Et si on pouvait avoir un portrait de Pascal Mulot, fait par Pascal Mulot ?

Alors, je suis né d'un père contrebassiste de Jazz et d'une mère extraordinaire. Donc en fait le regard, ça c'est souvent le regard d'une maman qui fabrique les artistes. Donc j'ai eu un regard extrêmement bienveillant qui m'a donné confiance, lié à la culture que m'a mis mon père, la culture du jazz et de la musique.

J'allais très souvent écouter mon père quand il jouait en club de jazz et j'ai bénéficié de l'écoute de cette musique là, mais aussi de savoir ce que c'est que la vie de musicien. Et puis il y avait plein d'albums à la maison et j'ai énormément écouté Oscar Peterson et de Louis Amstrong auquel j'ai mélangé ma musique quand j'étais ado, Van Halen, Jimi Hendrix entre autres et auquel j'ai mélangé aussi la culture de la musique classique parce que j'ai commencé la musique par le conservatoire.

De toute cette culture est venue à moi celle de la Funk quand j'avais 22 ans.

C'est vraiment tout ça qui m'a construit. Et ça m'accompagne encore aujourd’hui.

Du coup, j'ai quitté l'école un mois avant le bac et les derniers mots que j'ai entendu du proviseur, c’était, si vous revenez, on appelle la police.

Donc il fallait vraiment que je fasse quelque chose de ma vie et comme je voyais mon père qui partait faire ce métier que je trouvais très très sympa, je me suis dit que j’allais faire un métier sympa, faire musicien et accompagner des vedettes de variétés, faire du Club Med. Enfin, être vacancier et faire un boulot sympa !

Je vais m’enferme pendant plus de deux ans pour travailler l’instrument nuit et jour. A l’époque, je m’enfermais dans la salle de bains avec la basse et un métronome. Je profitais de la reverb sympa de la pièce et surtout j’évitais de faire du bruit la nuit et de réveiller mon père.

Le métronome m’a vraiment aidé à travailler la rigueur et la précision.

Un jour, j’ai la chance incroyable de rencontrer un black new-yorkais qui s’appelle Suber et ce sera le choc de ma vie. On a fait Suberbebop, un groupe de hard funk, le premier en France, et à 23 ans, je suis à Bercy en première partie de Lionel Richie et s’en suivra une centaine de concerts dans toute la France. Cela a été mon école roots, funk et rock’n'roll avec un apprentissage à l’américaine et ça c’est super important. 

Alors il existe vraiment une méthode américaine ?!

Oui il y a une vraie méthode de travail américaine. On jouait en première partie de Lionel Richie et je me rappelle qu'à l'époque, sur 2 soirs à Bercy, et on faisait pareil dans le groupe, ça sortait les mêmes Vannes au même moment. Tout était était au millimètre, même les plages d’improvisation n’étaient pas laissées au hasard. Ces américains ont cette manière de travailler qui va vers le perfectionnisme.

J’ai eu la chance de croiser Jennifer Batten, la guitariste de Michael Jackson qui m'expliquait comment ils préparaient leur tournée mondiale.

Elle m'a décrit leur travail et m'a dit, c'était l’armée.

Donc ce perfectionnisme là, je l'ai un peu chopé en travaillant avec suber.

A 24 ans, Patrick Rondat vient me voir avec Doudou Weiss pour jouer dans un club à Paris. Et puis un an après il me demande de le rejoindre pour faire son deuxième album Rape of the Earth.

A 26 ans je fais mon premier album au studio davout sur une major.

A 27 ans, je jouais avec Steve Vai et tout ça a fait un beau tremplin.

J'avais envoyé beaucoup d'énergie, beaucoup de passion, beaucoup de rêves dans ce que je faisais et c'est revenu.

Tu penses que c’est encore possible aujourd'hui ce genre de tremplin ?

Oui, le monde a changé. Les vecteurs de diffusion et d’informations ont évolué mais je crois que c'est toujours possible. Si j'avais la vérité, je serais millionnaire. Mais je pense que quand tu donnes beaucoup d’énergie, sincèrement, honnêtement, sans rien attendre en échange dans un projet artistique, tu as obligatoirement un retour.

Même quand t'es fatigué, même quand t'es démoralisé, tu dois continuer ta voie. Parce que moi, à l’époque, c’était presque un pari perdu d'avance, personne faisait l'album solo de basse en France. Il ne faut jamais s’arrêter.

Et si tu posais un regard sur ta carrière aujourd’hui, est-ce qu’il aurait des choses que tu referais autrement ?

Oui, je j'irai aux États-Unis. J’irai vivre directement là-bas. Quand j’ai commencé ma carrière, je suis peut être arrivé 2 ou 3 ans trop tard.

Des fois, tout ça ne tient qu’à peu de choses, quelques semaines, quelques quelques mois, quelques années pour être au bon endroit au bon moment. Je pense qu’entre 83 jusqu'à 93, à Los Angeles, c'était l'endroit où il fallait aller être pour réussir, pour exister vraiment internationalement.

Je suis arrivé quelques années plus tard. La scène avait changé et c'est comme ça. Mais voilà, aujourd’hui, je fais quand même mon cinquième album solo. Avoir fait déjà 3 albums sur des majors en tant que bassiste, rock et qui se positionne en tant qu'artiste et pas en tant qu'accompagnateur, c'était improbable et je n’aurais jamais pensé aussi bien réussir.

Comme l’a souvent dit la presse, avec Patrick Rondat, nous sommes des exceptions françaises. Faire autant d’albums en solo et avoir une aura internationale dès le début à une époque ou internet n’existait pas encore, cela a été formidable.

Effectivement, internet a changé la donne dans la diffusion de la musique ?!

Internet, c'est super bien parce que ça permet à des artistes qui ont quelque chose à dire de se faire remarquer, même si on est noyé dans le flot de plein d'artistes qui sont moins sincères et moins talentueux aussi.

Mais je pense que c'est quand même bien pour celui qui a une vraie identité et qui est honnête dans ce qu'il fait, c'est un super vecteur que je n’avais pas à l’époque.

Mais j’ai eu une autre chance incroyable. C’était d’être référencé chez les majors, d’avoir mon nom dans les bacs chez les disquaires même si je n’ai pas cherché par tous les moyens la reconnaissance et d’être le premier.

Moi mon premier ce n’est pas mon propos. Mon premier propos c'est d'abord de délivrer un travail sans compromis et de laisser une trace artistique honnête. Après si ça fait de l'audience c'est super, si ça fait pas d'audience c'est pas grave. Le vrai propos c'est d'abord de faire quelque chose qui soit beau à mes yeux.

Et de pouvoir en manger ?!

Alors en manger, non. On a ce système, tant qu'il existe, qui est s'appelle l'Intermittence du spectacle et qui permet justement de pouvoir travailler sur des projets qui sont moins alimentaires et de proposer un truc complètement désintéressé.

Mais il y a des choses qui sont venues à moi. Par exemple, j'ai accompagné des artistes de variétés. C’est très intéressant parce que un, j'ai absolument jamais cherché à le faire, bien au contraire, et deux, quand j'ai sorti mes albums solo, il y a quelques personnes qu'ont dit que j'étais pas capable d'accompagner des artistes. Or à ce jour j'ai au compteur des centaines de concerts avec notamment quelques Olympia avec des artistes de variétés. Mais je cherche pas du tout à faire ça.

C'est comme l'album avec Françoise Hardy que j'adore. C'est un album qui s'appelle Le Danger. J'ai adoré faire cet album avec Françoise Hardy parce que c'est quelqu'un qui avait une vraie qualité humaine, la classe absolue.

Pourtant, le projet n’était pas gagné et il a fallu apprendre à se connaître en studio. C’est mon luthier à l'époque qui a donné mon numéro en disant, ce mec là c'est un OVNI et comme le réalisateur artistique cherchait un mec différent et bien il a eu un mec différent. C’était le choc des cultures. En tout cas, cet album aura finalement été un bon moment et une belle expérience.

J’ai une autre petite anecdote, j’ai fais la rencontre un soir dans un bar  de Jacno. Il était aux antipodes de ce que je fais, il était dans la variété minimaliste mais on s’est très vite appréciés. C’était quelqu’un de rôle et cultivé avec qui j’ai passé énormément de moments inoubliables.

Il finit par me proposer de jouer ensemble et à la première répétition, au premier morceau joué, il me dit tout de suite « la basse est trop forte ! ».

Je mets le volume à 0,5 et on refait la chanson et il me dit « c’est encore trop fort ! ». Je mets le volume de l’ampli à 0,3 et à la fin du morceau il me dit « Ok mais c’est encore un peu fort tout ça ! ». Là, je mets le volume à 0 et on rejoue le morceau encore une fois. A la fin, il me dit « Ok, c’est mieux là ! ».

Pour moi, c’est ça la variété, un monde dans lequel j’ai tout de même un peu de mal à évoluer.

J’ai été plus facilement ami avec Doug Wimbish et TM Stevens et à garder mon statut d’OVNI même si tout cela a enrichi ma vision du métier.

Et pour moi, le métier de la musique, ce n’est pas un métier, c'est une vraie passion multiculturelle et d'avoir une vision large de la musique, pas en tant que que musicien, mais aussi en tant que producteur, en tant que chanteur, en tant qu'artiste, en tant que basse héro, en tant qu'accompagnateur, et tout ça a grandement enrichi ma vision de la musique.

Mais ce qui est intéressant dans la musique, c'est que moi j'ai encore énormément à apprendre et je pense que on n'a pas assez d'une vie pour ça.

Compassion, c’est ton cinquième album. Il parait plus intimiste que les précédents, je me trompe ?!

C'est vrai. Tu l'as ressenti aussi comme ça ? J'ai passé plus de temps sur les détails. Il y a un énorme travail sur la production et Steve Prestage s'est vraiment investi à fond. Il est pour moi un des meilleurs ingénieurs du son au monde. Anthony Arconte a fait un travail de mastering formidable. L’album commence par un plan de basse extraordinaire que tu te prends dans la gueule, histoire de marquer le territoire parce que ça, personne ne joue comme ça, c'est mon style.

Le deuxième titre est une reprise de John Mayer et je chante ce blues parce que mélanger les styles, pour moi, c’est ce qui m’a construit.

La troisième piste, C'est un titre de Jazz Rock dont je suis très fier et avec Christophe Cravero au violon et au piano. Ce morceau est un univers musical très riche.

A la quatrième place, c’est une reprise de Bob Marley en version Hard-Rock et ça, c'est pour dire aux ayatollahs de la musique…rien à ****** !!!!

Après, c’est « L'île de Gorée ». J'adore ce thème-là. Il me transporte.

Le titre suivant, C'est un morceau que j’ai joué avec Charlie Fabert qui s'appelle « Toon many mountains ».

Le riff est monstrueux j'ai adoré la chanter et faire cette reprise et j'ai l'impression qu'elle est très réussie.

« Little Jade » est un hommage à ma fille. J'aime la mélodie. J’aime une boîte à rythme à son sale. C’est poétique.

Après, c’est compassion avec Médéric Collignon. Alors là, c'est vraiment un beau clin d'œil. Il y a un thème et une ambiance, c'est un titre qui a été enregistré il y a 20 ans.

Puis il y a le dernier titre « Spain » avec mon Patrick Rondat. On a fait cette reprise de Chick Coréa avec également Aurélien Ouzoulias à la double en version hard-rock. Elle est énorme cette reprise !

Et la suite ?!

on va commencer à enregistrer le sixième album normalement mais je n’en dis pas plus pour l’instant.

La sortie est prévue dans 15 ans ?! ;-)

Alors non parce que de toute façon je suis pas sûr d’être encore là et je voudrais laisser 7 albums si c’est possible. C’est un chiffre qui, spirituellement, me touche. Il me semble très bien de laisser 7 albums.

Même dans la carrière des mecs les plus créatifs au monde, certains peuvent sortir 30 albums mais il y a forcément des choses qui sont moins brillantes alors moi je préfère travailler sur l’essentiel. L’oeuvre d’un artiste, ce n’est pas un catalogue et je veux faire en sorte que tu pourras encore l’écouter dans 20 ans.

Voilà, ça c’est ma volonté parce que je suis fier d'être instrumentiste. Je suis fier d’avoir travaillé pour essayer d'avoir un langage personnel, identifiable.

Et si on parlait un peu de ton matériel ?! On ne voit plus de Vigier.

Tu sais, j'ai une basse qui s'appelle la Steinberger. C’est un modèle XL-2 de 1986 et son numéro de série est 2031 et c'est un instrument qui est pour moi une sorte de Stradivarius. Il n’y a pas de notes mortes. La qualité du son est incroyable. Le Manche est super agréable et c'est un instrument très musical.

Depuis les années 90, j’ai eu de nombreux deals avec de nombreuses grandes marques mais aujourd’hui, j’ai tout vendu ou tout donné. J’ai une basse et c’est cette Steinberger que j’aime par-dessus tout.

Pour finir, notre petite question habituelle du conseil que tu donnerais à un bassiste débutant ?

Travailler, faire du make art everyday, de l'artistique tous les jours et essayer de bosser et construire son côté unique, sa personnalité.

Et puis un conseil plus instrumentiste, prendre le temps de s'échauffer et ne jamais forcer sur l'instrument. Quand ça fait mal parce qu'on est pas assez chaud, trop fatigué… C’est pas le bon moment.


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